12:20 - Mercredi 24 avril, 2024

- 15. Shawwāl 1445

Attendrir nos coeurs


L’Imam Malik, Ibn Abi Chayba, Ahmad dans Al Zuhd, et Al Tirmidhi rapportent que Jésus fils de Marie a dit : « Évite de trop parler sans évoquer Dieu car cela endurcit le cœur, et nul n’est plus éloigné de Dieu qu’une personne au cœur dur mais vous n’en avez pas conscience. Ne regardez pas les péchés des gens comme si vous étiez leurs maîtres, mais regardez plutôt vos péchés en considérant que vous êtes des serviteurs. Les hommes sont soit éprouvés soit préservés. Faites donc preuve de clémence envers ceux qui sont éprouvés et louez Dieu pour ce dont Il vous préserve ».

Jésus fils de Marie, est selon notre croyance musulmane, le dernier prophète envoyé aux beni israil qui divergèrent à son sujet. Son apostolat s’est déroulé dans une ère de déclin civilisationnel, de troubles, d’intrigues politiques et de sectarisme. L’essentiel du message de Jésus et de ses paroles visait à réinsuffler la spiritualité, « l’esprit de Dieu », dans la vie des gens de son peuple. Jésus n’aura en particulier de cesse de dénoncer l’hypocrisie de la secte dominante des pharisiens attachés à la lettre, à l’apparence, focalisés sur les détails de la Loi, convaincus d’être l’élite religieuse en tant que gardiens de la tradition des ancêtres et méprisant le reste du peuple, considéré par eux comme de vulgaires pécheurs. Le pendant extrémiste et révolutionnaire de cette faction, les zélotes, provoqueront par leur lutte armée la destruction du royaume qu’ils visaient pourtant à rebâtir.

Jésus, l’apôtre de Dieu, savait que pour « reconstruire », il fallait revenir à la base en réformant les individus qui composent le peuple, en détaillant les règles éthiques et morales inhérentes à « la vie des cœurs » sans abroger pour autant la partie exotérique de la Loi (celle qui régit la forme du culte) à laquelle il redonnait sens. L’observateur attentif de l’histoire de la foi s’apercevra que notre époque et nos générations musulmanes souffrent des mêmes maux spirituels que ceux dont souffraient les contemporains de Jésus.

Aussi dans l’exhortation citée plus haut, Jésus pointe du doigt l’origine de la déviance pharisienne. Il s’agit ici de la dureté du cœur. Or, c’est un malheur qui frappe les religieux dès lors que ceux-ci sont imbus d’eux-mêmes et émerveillés par leurs actes d’adoration ou par leur érudition supposée. Allah dit : « Malheur donc à ceux dont les cœurs sont endurcis contre le rappel de Dieu. Ceux-là sont dans un égarement évident » [39;22] et dans un autre passage : « Puis, et en dépit de tout cela, vos cœurs se sont endurcis ; ils sont devenus comme des pierres ou même plus durs encore ; car il y a des pierres d’où jaillissent les ruisseaux, d’autres se fendent pour qu’en surgisse l’eau, d’autres s’affaissent par crainte de Dieu. Et Dieu n’est absolument pas inattentif à ce que vous faites » [2;74]. En un autre endroit du Coran, Allah nous met en garde : « N’est-il pas temps que les cœurs des croyants s’emplissent d’humilité à l’évocation de Dieu et devant ce qui est descendu de la vérité [le Coran] ? Et de ne point être pareils à ceux qui ont reçu le Livre avant eux. Ceux-ci trouvèrent le temps assez long et leurs cœurs s’endurcirent, et beaucoup d’entre eux dévièrent du droit chemin » [57;16].

Le rôle du médecin ne se résume pas à constater le mal. Il doit en identifier l’origine et proposer un ou des remèdes. Notre Prophète (paix et salut sur lui) nous dit qu’Allah n’a point laissé descendre de maladie sur terre sans lui attribuer de remède [Al Boukhari]. Ce qui vaut pour les maladies qui touchent le corps ne vaut-il pas davantage pour les maladies de l’âme ? Et là, Jésus, en bon médecin des âmes, identifie l’origine du mal et lui propose un remède, en l’occurrence le fait de parler peu si ce n’est pour évoquer Allah le Très Haut. Nous voyons ici le lien direct qu’il y a entre le cœur et les organes sensibles qui s’influencent mutuellement. Le Prophète (paix et salut sur lui) dit à ce sujet : « la foi du serviteur ne sera « droite », que lorsque le cœur sera droit, et celui-ci ne sera droit que lorsque la langue sera droite » [Ahmad]. Cette « droiture du langage » signifie de ne dire que du bien et de s’abstenir de dire de mauvaises paroles ou encore des paroles futiles, qui ne présentent aucun intérêt pour cette vie ou pour l’autre : « Ô vous qui croyez ! Craignez Dieu et parlez avec droiture afin qu’Il améliore vos actions et vous pardonne vos péchés. Quiconque obéit à Dieu et à Son messager obtient certes une grande réussite » [33;70-71]. Le Prophète (paix et salut sur lui) nous décrit par ailleurs le vrai croyant comme celui « qui ne dit que du bien ou qui se tait » [Al Boukhari & Mouslim]. À la fin de sa réponse exhaustive à Mouadh venu l’interroger sur l’œuvre qui lui permettrait d’entrer au Paradis et d’être mis à l’abris de l’Enfer, l’Envoyé d’Allah (paix et salut sur lui) dit en saisissant sa langue : « garde toi du mal de celle-ci » et d’ajouter face à l’étonnement de Mouadh : « malheur à toi ô Mouadh ! les gens ne seront-ils pas jetés tête la première dans la fournaise, si ce n’est qu’en conséquence des récoltes de leurs langues ?! » [Al Tirmidhi].

Nous ne devons pas oublier que nos organes nous ont été accordés par Allah et doivent avant tout nous servir à faire le bien pour nous rapprocher de Lui. Nous ne devons pas les utiliser à mauvais escient pour faire le mal ou pour transgresser. L’un des usages recommandé de la langue, qui désigne plus généralement notre capacité d’expression, est d’évoquer notre Seigneur pour Le glorifier, L’invoquer, psalmodier Ses paroles, Le faire aimer à ses serviteurs. Allah dit : « L’évocation d’Allah est ce qu’il y a de plus grand » [29;45], « N’est-ce point par l’évocation de Dieu que se tranquillisent les cœurs ? » [13;28]. Ibn Taymiya disait : « il est un paradis en cette vie, qui n’y trouve son repos ne pourra trouver de refuge dans le paradis de l’au-delà (…) il s’agit de l’amour d’Allah et de son évocation ». Ibn Al Qayyim de dire quant à lui : « la meilleure évocation de Dieu et la plus profitable est celle qui provient du cœur et qui est prononcée par la langue ».

Parmi les tares des pharisiens et des individus trop zélés dans la religion sans en avoir compris l’essence, il y a cette propension à mépriser leurs coreligionnaires qui peinent à pratiquer correctement la religion. Certains parmi eux s’arrogent le droit de juger autrui. Notre Prophète (paix et salut sur lui) nous a mis en garde en disant : « qui dit des gens qu’ils sont perdus est en fait plus perdu qu’eux » [Mouslim]. Notre rôle est d’orienter les gens qui croient en Allah et en la révélation ; il n’est surtout pas de les condamner pour leurs péchés, oubliant nos propres forfaits en couvrant nos yeux du voile de la fatuité. Allah est notre seul maître et Lui seul peut juger, pardonner ou condamner les gens selon son savoir et sa justice. Le Prophète (paix et salut sur lui) nous a ainsi conté l’histoire de deux frères, dont l’un d’eux qui était religieux dit un jour à son frère pécheur : « par Dieu, Dieu ne te pardonnera jamais ! ». À leur mort, Allah pardonna au pécheur qui s’était repenti et punit le religieux qui avait péché en parlant au nom de Dieu et en s’associant à Lui dans Sa qualité de Juge des âmes [Mouslim].

L’homme devrait se focaliser sur le salut de son âme en considérant la laideur de ses péchés. Allah dit par la bouche de son Prophète (paix et salut sur lui) : « vous péchez tous jour et nuit et Je pardonne les péchés, demandez-Moi pardon et Je vous pardonnerai » [Mouslim]. Le Prophète confirme cette nature pécheresse de l’homme : « tout homme est pécheur et les meilleurs des pécheurs sont ceux qui se repentent » [Al Tirmidhi et d’autres].

Finalement, nous devons toujours garder à l’esprit que la guidance ne provient que d’Allah : « ô mes serviteurs vous êtes tous égarés sauf celui que Je guide, demandez-Moi guidance, Je vous guiderai » [Mouslim]. Cela se voit dans cette parole des bienheureux qui une fois au Paradis s’exclameront : « louanges à Allah qui nous a guidés à cela, nous n’aurions été guidés sans la guidance d’Allah » [7;43]. Aussi, sommes-nous tous éprouvés par le péché ou par la préservation. Celui qui est éprouvé par le péché doit se repentir en regrettant sa faute, en l’ayant en aversion, en y mettant fin, et en prenant la résolution de ne plus y retourner. Quant à celui à qui Allah a facilité la compréhension et la pratique du bien, il est éprouvé également car il doit manifester sa reconnaissance envers son Créateur et manifester sa clémence vis-à-vis de ses frères éprouvés par le péché. Le Prophète (paix et salut sur lui) nous invite à cette reconnaissance et cette humilité. Il dit en effet : « il n’est d’individu qui voyant un autre éprouvé (remercie Allah) et dit : « Louange à Allah qui m’a préservé de ce par quoi tu es éprouvé et qui m’a favorisé sur nombre de ses créatures » sans qu’Allah ne le préserve de l’épreuve en question » [Al Tirmidhi].

 

Des œuvres qui contribuent à attendrir le cœur

Le Ramadan est certainement le moment le plus opportun pour purifier nos cœurs et les adoucir. En effet, c’est un mois durant lequel nous sommes encouragés à accomplir certaines œuvres. Ibrahim Al Khawas dit : « Cinq remèdes contribuent à attendrir le cœur : lire le Coran tout en réfléchissant, priver l’estomac (par le jeûne), veiller la nuit en prières, implorer longuement (Allah) avant l’aube, côtoyer les gens vertueux ».

La bonté et la générosité vis-à-vis des démunis est un autre remède. À un homme qui s’était plaint de la dureté de son cœur, l’Envoyé d’Allah (paix et salut sur lui) recommanda : « Sois chaleureux (lit. caresse la tête) de l’orphelin, et donne à manger aux déshérités » [Ibn Abi Dounya].

Le fait de penser à la mort et à ce qui s’ensuit, de s’aider à cela en assistant aux prières funéraires janaza, ou en visitant les tombes des proches musulmans, tout cela aide à adoucir le cœur, en calmant le désir et en atténuant l’amour exagéré du bas-monde. À une femme qui se plaignait de la dureté de son cœur, Aïcha prescrit de penser davantage à la mort : « ton cœur s’adoucira, dit-elle, et tu obtiendras ce que tu recherches » [Ibn Abi Dounya].

Enfin, la consommation de biens licites est un moyen préventif, qui évite le durcissement du cœur et qui en garantit la bonne santé physique et spirituelle. Interrogé par Ibn Salih Al Tarsousi sur le moyen de préserver un cœur tendre, l’Imam Ahmad répondit : « en consommant le licite, ô mon fils » [Abou Naïm]


Rubrique: Adoucir nos cœurs