15:49 - Samedi 20 avril, 2024

- 11. Shawwāl 1445

S’assurer du sens des mots utilisés dans un hadith


Parmi les règles à respecter pour parvenir à une compréhension juste des textes de la Sounnah – mais cela est également vrai pour le Coran -, il y a le fait de s’assurer que l’on comprenne bien le sens des termes employés. Ceci sous-entend d’avoir une connaissance suffisante de la langue arabe littéraire ancienne, une bonne culture du hadith, et également de savoir se référer aux ouvrages clés pour comprendre les sens anciens de certains mots que le temps et l’usage ont pu modifier, car le propre d’une langue vivante est d’évoluer avec le temps. Nous pouvons citer en exemples les hadiths du Prophète (paix et salut sur lui) : les gens qui subiront le pire châtiment le jour du jugement sont les mousawwiroun [Al Boukhari & Mouslim], tout  moussawir est en enfer [Mouslim], ceux qui font ces « souwar » seront punis le jour du jugement, on leur dira ‘donnez-donc vie à vos œuvres’ [Al Boukhari]. Tous ces hadiths mettent en garde les sculpteurs d’idoles ou de figurines susceptibles d’être divinisées. Le mousawwir (mousawwiroun au pluriel) est celui qui réalise la souwar, dont la traduction exacte serait ‘sculpture’. C’est ainsi qu’interprétait ces hadiths, le grand savant de Médine, l’élève de notre mère Aïcha, Al Qassim Ibn Mohammad Ibn Abi Bakr Al Siddiq : al souwar est « la forme qui a une ombre », il s’agit d’un objet palpable en trois dimensions, représentant une créature vivante. Le Prophète (paix et salut sur lui) nous a défendu ce type précis de représentation pour couper court à tout genre d’idolâtrie, et a autorisé les dessins qu’il peut y avoir sur certains tissus comme les coussins ou les vêtements [cf. Al Boukhari n°7559, Mouslim n°2111].

Plus récemment dans l’histoire humaine, lorsque sont apparues la photographie et la vidéo, certains Arabes ont donné comme nom à cette nouvelle technique ‘al taswir’, en se contentant de constater le résultat. C’est ce qui a poussé certains savants contemporains, dont quelques célébrités, à se prononcer contre la photographie et la vidéo, en considérant que l’interdiction formulée par le Prophète (paix et salut sur lui) concernait ces nouvelles techniques. Or on voit bien qu’ici et là, taswir désigne deux choses différentes : sculpter une statue représentant un être vivant – ce qu’a interdit le Prophète (paix et salut sur lui) – et figer sur image une reproduction exacte de la création d’Allah à un instant donné – ce qui n’a à priori pas été interdit par le Prophète (paix et salut sur lui) – même si le même terme est employé. L’usage moderne fait qu’on appelle désormais le sculpteur en arabe nihat, pour autant le fabricant d’idoles demeure concerné par l’interdiction prophétique, quand bien même on ne l’appellerait pas mousawwir.

Parfois, le sens du mot ne change pas avec le temps, mais celui-ci revêt différents sens selon la manière dont on l’utilise. Ainsi les imams Al Tabarani et Ibn Majah rapportent d’après ‘Oubada Ibn Al Samit cette invocation de l’Envoyé de Dieu (paix et salut sur lui) : ô mon Dieu, fais que je vive ‘miskine’, que je meure ‘miskine’ et ressuscite-moi parmi les ‘masakine’ (pluriel de miskine). Cette version du hadith est authentique. Le sens courant, commun et connu du terme ‘miskin’ dans la langue arabe est ‘pauvre’. Dans cette invocation, le Prophète (paix et salut sur lui) aurait donc demandé à Dieu d’être pauvre toute sa vie si l’on s’en tient au sens premier du terme ‘miskin’. Il est vrai que le Prophète (paix et salut sur lui) ne fut jamais riche et qu’il n’aurait pas aimé posséder l’équivalent du mont Ouhoud en or pendant plus de trois nuits sans le dépenser en aumône. Pour autant, il est rapporté dans d’autres hadiths plus authentiques que le Prophète (paix et salut sur lui) demandait matin et soir à Dieu de le préserver de l’épreuve de la pauvreté [Al Boukhari & Mouslim], de le mettre à l’abri du besoin [Mouslim], et de le garder de la mécréance et de la pauvreté [Al Hakim, Al Bayhaqi : Sahih]. Doit-on comprendre le premier hadith comme certains l’ont compris, comme un éloge et un encouragement pour les musulmans à rechercher la pauvreté ? Mais dans ce cas nous serions bien en contradiction avec le second groupe de hadiths et bien d’autres mettant en valeur le fait de gagner sa vie, de s’enrichir honnêtement, et de bien dépenser son argent, à l’instar des grands compagnons. Aussi, le terme « miskine » revêt une autre signification qui est le fait d’être humble. Ibn Al Athir dit que le Prophète au travers de cette invocation demandait à Dieu de faire qu’il demeure humble toute sa vie et qu’Il le préserve de verser dans la tyrannie ou dans l’orgueil.

Dernier exemple, dans la parole du Prophète (paix et salut sur lui), rapportée par Abou Hourayra et authentifiée par Al ‘Iraqi et Al Soyouti : Dieu enverra au début de chaque siècle (celui/ceux) qui renouvellera (youjadid) la religion [Abou Dawoud, Al Hakim]. Comment donc peut-on comprendre littéralement ce hadith alors que Dieu dit dans Son Livre : aujourd’hui J’ai rendu parfaite pour vous votre religion [5;3] et que le Prophète (paix et salut sur lui) a dit que quiconque veut apporter quelque chose de nouveau dans notre affaire (l’Islam) doit être rejeté [Mouslim] ? En vérité, le sens de cette parole a été expliqué par nos savants. Il ne s’agit pas d’apporter une nouvelle religion, de moderniser ou modifier celle-ci. Il s’agit simplement de la revivifier, de lui redonner son mouvement, sa force, son souffle, dans le cœur et les esprits des gens ; d’expliquer le sens de ses prescriptions avec le langage adapté à l’époque, en apportant de nouvelles interprétations pertinentes pour l’époque, en conformité avec l’esprit et la lettre des textes.

Tâchons-donc de ne pas nous empresser à interpréter les textes sans être certains du sens des mots employés, et encore plus lorsqu’on les aborde au travers de traductions ! et demandez aux gens de science lorsque vous ne savez pas !


Rubrique: Bien comprendre la Sounnah