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- 11. Shawwāl 1445

Mohammed ‘Abdou


Image2Depuis les débuts de la révélation, l’Islam s’est illustré comme étant une religion dynamique et innovante, en rupture avec une société sclérosée par les superstitions et les traditions, et maintenue dans un immobilisme profitant au pouvoir en place, dont le seul souci était de sauvegarder ses privilèges. Le Prophète (paix et salut sur lui) a, lui-même, révolutionné l’Arabie dans laquelle il vivait, en y apportant bien-être, justice et équité, par la propagation d’un monothéisme pur, dépouillé de tout intérêt mondain. C’est ainsi que la civilisation musulmane, forte de cet esprit pur et audacieux, a rayonné durant des siècles avant de laisser place, à nouveau, au règne des traditions et des intérêts personnels menant au déclin et au démantèlement de l’empire ottoman à la fin du 19è siècle.

C’est durant cette période, en 1849, qu’est né Mohammed ‘Abdou, dans un petit village d’Égypte, au sein d’une famille d’agriculteurs. Son père qui tenait à ce qu’il reçoive une éducation religieuse le confia à un cheikh auprès duquel il mémorisa le Coran, avant de l’envoyer étudier les sciences islamiques au sein de l’une des écoles les plus réputées d’Égypte. Après quelques mois à souffrir de l’inefficacité des professeurs et devant une pédagogie qu’il jugeait totalement inadaptée, ‘Abdou préféra fuir. Une première fois, chez l’un de ses oncles pour s’adonner à l’agriculture, puis une seconde fois chez son grand oncle paternel, le cheikh Darwish Khidr, au contact duquel il s’opéra chez le jeune ‘Abdou une véritable transformation. Son oncle prit soin de lui expliquer les choses de façon à la fois simple et profonde, jusqu’à lui redonner goût pour les études. Il étudia toutes les matières classiques à l’université d’ Al Azhar. Il demeurait cependant très insatisfait et frustré de la méthode pédagogique qui consistait, selon lui, à ‘surcharger la mémoire des élèves d’un fatras de connaissances grammaticales très embrouillées et de subtilités théologiques faites pour rétrécir l’esprit et l’empêcher de se développer’. Il ne voyait pas, dans la formation qu’on lui proposait, de solutions aux problèmes que connaissait la société de son époque, et cela l’affectait profondément.

Il fit alors la rencontre de l’imam réformateur Jamal Al Din Al Afghani dont il devint le disciple et le plus proche collaborateur, et auprès de qui il trouva enfin ce qui lui avait manqué pendant toutes ses années d’apprentissage, à savoir ‘une réflexion nouvelle et dynamique, tout entière tournée vers le raisonnement et l’action’. Mohammed ‘Abdou fut conquis par les opinions d’Al Afghani sur la nécessité de réformer l’enseignement des sciences religieuses et l’importance de l’unité des musulmans, et s’engagea près de quinze années à ces côtés dans la réalisation de cet objectif. Ils s’investirent ensemble sur le terrain social et politique, allant jusqu’à appuyer une révolution qui visait à libérer l’Égypte de la mainmise étrangère, et dont l’échec les poussera tous deux à l’exil. Ils se consacrèrent alors essentiellement à l’écriture, multipliant les publications depuis Beyrouth et Paris. Mais, devant les difficultés rencontrées et l’échec de leurs actions, Mohammed ‘Abdou se mit à remettre en question les méthodes de son maître qui était convaincu que seule une action politique pouvait mener à une révolution, qui, une fois accomplie, permettrait de remettre le pouvoir aux mains des peuples, qui ‘trouveraient en eux-mêmes, dans leur conscience et leur histoire, les éléments nécessaires pour réaliser un état meilleur’.

Son sens aigu des réalités le poussa donc à s’éloigner d’Al Afghani afin de mettre en place son propre projet de réforme en privilégiant une action de long terme, basée sur l’instruction et l’éducation au détriment de la politique.

La première des grandes tâches qu’il se fixa alors de réaliser ‘consistait à libérer l’esprit des chaînes de l’imitation (al taqlid) ; à comprendre la religion comme la comprenaient les premiers musulmans, avant que les dissensions n’eussent surgies entre eux ; à remonter à ses sources premières ; à la présenter comme une balance que Dieu nous a donnée pour éviter les exagérations de la raison humaine et diminuer ses erreurs ; et pour nous permettre d’atteindre l’état que Sa sagesse divine a assigné à l’humanité.’

Plutôt que de se borner à l’imitation apparente des compagnons ou imams du passé, Mohammed ‘Abdou encourage à plutôt essayer de comprendre leur raisonnement et leur méthodologie afin de poursuivre leur effort d’interprétation (ijtihad) et pouvoir proposer des réponses cohérentes aux problématiques de son époque. Il voit le taqlid comme une forme de trahison du message et de l’héritage islamique induit par une paresse intellectuelle. ‘Nous avons trouvé nos ancêtres sur une religion et nous suivons leurs traces’ [43;23]

Il n’appelait pas pour autant à l’anarchie en permettant à quiconque de faire l’ijtihad, mais plutôt à une élévation globale du niveau intellectuel par le biais de l’éducation. D’ailleurs, son deuxième objectif était de ‘régénérer la langue arabe’ pour atteindre cette compréhension juste et éviter toute mauvaise utilisation des textes. Cela, afin de permettre un retour direct aux deux sources que sont le Coran et la Sounnah, et y puiser directement leurs sagesses intarissables.

Mohammed ‘Abdou souhaitait ainsi sortir des débats statiques sur les points de détails, pour entrer dans la dynamique prophétique du changement et de la réforme, et dans la gestion des réalités sociales, politiques et économiques qui font la nation. Les polémiques stériles sur l’apparence et les ramifications de la religion étaient pour lui une perte de temps et une source de division destructrice face aux défis que doit relever la communauté musulmane. Comment, en effet, rester fidèle aux exigences et aux objectifs d’une Révélation universelle si l’on reste figé sur les réflexions et débats des imams du passé et que la réalité du monde actuel nous échappe totalement ?

Vers la fin de sa vie, il profita de sa position de mufti d’Égypte et de membre du conseil d’administration de l’université Al Azhar pour tenter de mettre en place ses réformes sociales au niveau de l’éducation, de la famille, du statut de la femme, etc. Mais ses positions étaient tellement audacieuses, et il dut faire face à tellement d’oppositions, qu’il préféra quitter ses fonctions avant de s’éteindre en juillet 1905, sans avoir pu réaliser ses objectifs. Ses idées, cependant, ne sont pas mortes avec lui, et de nombreux successeurs vont tenter après lui de faire vivre sa pensée avec plus ou moins de succès comme nous auront l’occasion de le voir dans nos prochains articles.


Rubrique: Biographies