0:11 - Mercredi 24 avril, 2024

- 14. Shawwāl 1445

Ibn Taymiyya


Parmi tous les savants que compte l’héritage musulman, Ibn Taymiyya est probablement l’un des plus connus et des plus influents de notre histoire. C’est un personnage complexe, quasi-infaillible pour certains, égaré et dangereux pour d’autres. Il a suscité, et suscite encore l’exagération et les passions tant de ses partisans que de ses détracteurs, alors que lui-même prônait l’équilibre et le juste milieu.

Le Cheikh Al Islam Taqi Al Din Ahmad Ibn Taymiyya, était originaire de Harran, dans l’actuelle Turquie. Il est né en l’an 661 de l’Hégire (1263 E.C.), quelques années après le début des invasions mongoles, qui engendrèrent une grande instabilité au sein du monde musulman. Ibn Taymiyya était issu d’une famille pieuse qui a compté plusieurs savants hanbalites, et a été, à ce titre, bercé dans les sciences religieuses depuis son plus jeune âge. Alors qu’il était âgé de sept ans, la ville de Harran fut à son tour menacée par les tatars. Sa famille fut alors forcée de s’exiler à Damas. Là, le jeune Ahmad put parfaire son éducation, et se démarqua très vite grâce à une capacité de mémorisation et d’analyse hors du commun, mêlée à un amour sincère de la science et de la vérité. Bien qu’issu de l’école hanbalite, Ibn Taymiyya ne se contentait pas de suivre aveuglément les préceptes et avis de son madhab. Au contraire, son niveau de savoir lui permettait de rechercher sans relâche l’avis le plus pertinent et le mieux argumenté dans chaque question. Par ailleurs, le contexte dans lequel il évoluait était radicalement différent de celui dans lequel les premières générations de savants avaient fourni leurs efforts d’interprétations. Aussi Ibn Taymiyya prit conscience qu’il ne pouvait pas se contenter d’appliquer des avis qui n’étaient parfois plus en cohérence avec son époque. Il fallait reprendre la méthodologie des anciens dans l’ijtihad afin de répondre aux défis de son temps en puisant directement de nouveaux avis dans le Coran et la Sounnah comme l’avaient fait auparavant les nobles compagnons et leurs disciples.

Mais cette audace et ce dynamisme qui rompaient avec la suffisance intellectuelle, le conservatisme et la passivité de nombreuses figures de l’époque allaient bientôt éveiller inimitié et jalousie à son encontre. Ibn Kathir nous rapporte à ce sujet que certains de ces contemporains tentèrent de le discréditer pour mettre un terme à sa popularité grandissante, mais ne pouvant faire face à la force de son argumentation, ils s’attaquèrent à l’homme en propageant sur lui de fausses allégations. Il fut par exemple accusé injustement et condamné en Égypte pour anthropomorphisme, alors qu’il suffit de lire ses traités sur le dogme pour se convaincre que cela n’était pas sa doctrine.

Ces épreuves n’entamèrent en rien sa détermination, bien au contraire. À sa sortie de prison, il redoubla d’efforts pour dénoncer les fausses croyances introduites par les philosophies grecque et hindouiste en contradiction avec le Coran, ainsi que les exagérations des pseudo-soufis dans leur culte des saints. Il est cependant incorrect de dire qu’Ibn Taymiyya rejetait le soufisme, la philosophie, ou encore la logique comme on peut le lire aujourd’hui. Il cherchait plutôt à purifier chaque discipline et chaque mode de pensée de tout ce qui n’était pas en accord avec la révélation, se tenant ainsi sur la voie du juste milieu. La multiplicité des fronts sur lesquels il s’engageait ne faisait qu’augmenter le nombre de ses ennemis, ignorants, fanatiques, ou jaloux ; ce qui lui valut plusieurs aller-retours en prison tout au long de sa vie. Il ne tentera pourtant jamais de se venger de tous ses détracteurs, préférant plutôt leur pardonner.

L’infatigable Ibn Taymiyya joua également un grand rôle pour repousser la menace mongole hors de Damas. Il encouragea le peuple et les gouverneurs à libérer les terres musulmanes de la domination des tatars, et s’engagea lui-même dans les soulèvements. Après s’être entretenu avec le chef des mongols, ce dernier dit de lui : ‘Je n’ai jamais vu personne de semblable, personne dont le cœur est plus ferme, ni rien qui ait eu plus d’impact en mon cœur que ses paroles, et je ne me suis jamais vu plus soumis à personne qu’à lui’, à la suite de quoi il promit d’épargner la vie des musulmans.

Bien qu’il ait fait la démonstration de son savoir encyclopédique et de sa sincérité, Ibn Taymiyya ne cessa de provoquer des réactions virulentes en émettant des avis inédits, ou en remettant en cause d’autres sujets comme par exemple l’irrévocabilité d’un divorce prononcé trois fois de suite.

À la suite d’une épître sur la visite des tombes, dans lequel il fustige le culte des saints, il fut une nouvelle fois emprisonné dans la citadelle de Damas, où il mourra finalement à l’âge de soixante-sept ans.

Ibn Taymiyya était un homme des plus engagés dans la réforme et la revivification de l’esprit originel de l’Islam. Il était capable de s’affranchir des diktats d’une pensée figée pour faire rejaillir des vérités ensevelies. Outre ses opinions parfois trop avant-gardistes, on reprocha aussi à Ibn Taymiyya son caractère peu commode. Son élève, Al Dhahabi dit à ce propos : ‘Malgré l’étendue de son savoir, l’immensité de sa bravoure, la finesse de son esprit et la jalousie qu’il éprouvait pour les choses sacrées de la religion, il demeurait un homme parmi les hommes, que n’épargnaient pas la rigidité dans les débats, ni la colère et l’emportement à l’encontre de ses contradicteurs. Ces traits de caractère semèrent chez ses opposants les graines de l’inimitié et du désaveu. Par Dieu, s’il avait su se montrer conciliant avec ses contradicteurs, s’il leur avait manifesté bonté, douceur et aménité, il aurait fait l’unanimité. Car les plus grands et les premiers de ses opposants s’inclinaient devant son savoir et son autorité de juriste, lui reconnaissant son expertise, son intelligence ainsi que la rareté de ses erreurs.’

Ainsi sont les grands savants, en phase avec leur époque, engagés dans les sujets qui concernent la communauté, courageux dans leurs prises de positions, novateurs dans les avis qu’ils adoptent. Ils sont souvent la cible de campagnes de propagande, jalousés des savants officiels, redoutés des pouvoirs illégitimes ou injustes. Malgré cela, ils restent des humains avec leurs traits de caractère, sans quoi tout le monde les suivrait, et cela irait à l’encontre de l’épreuve à laquelle Dieu soumet nos consciences.


Rubrique: Biographies