11:58 - Mercredi 24 avril, 2024

- 15. Shawwāl 1445

Ne soyons pas pressés !


Allah Exalté et Béni dit : « (1) Ô croyants ! N’anticipez pas (les ordres d’) Allah et de Son messager. Craignez Allah. Allah entend et sait tout ».

L’imam Al Qourtoubi dit : les oulamas expliquent que les bédouins manquaient de tact et de bienséance dans leur manière de parler à l’Envoyé d’Allah (paix et salut sur lui) et plus généralement dans leur relation avec les gens. Cette sourate est venue leur rappeler les bonnes manières. Ceci dit, l’interjection « ô vous qui avez cru » prouve que les injonctions de cette sourate s’adressent à tous les musulmans. Par ailleurs, elle est répétée à cinq reprises dans la sourate, et va à chaque fois nous appeler au comportement adéquat à l’endroit de cinq catégories d’interlocuteurs, comme l’a souligné Ibn Achour : Allah – Béni et Exalté, puis son Prophète (paix et salut sur lui), puis l’homme mauvais, puis le croyant présent, et enfin le croyant absent.

Le premier commandement nous invite à la retenue et nous interdit la précipitation : « n’anticipez pas les ordres d’Allah et de son Messager ». « La pondération est divine, dit un hadith, tandis que la précipitation est satanique ». Une autre version prévoit quelques exceptions dans lesquelles la précipitation est requise, notamment pour accomplir la prière ou enterrer le mort… Un jour des compagnons persécutés par les leurs étaient venus interpeller le Prophète (paix et salut sur lui) sur les souffrances qu’ils enduraient montrant une forme d’exaspération. Le Prophète (paix et salut sur lui) leur rappela l’avenir glorieux qui les attendait les invitant à ne pas se montrer trop pressés [cf. hadith d’Al Khabbab dans le Sahih Al Boukhari]. Le droit cultuel musulman considère comme un principe de validation des œuvres le fait qu’elles ne soient pas faites avant l’heure. Ainsi en est-il de la prière, du pèlerinage, ou du jeûne de Ramadan, accomplis avant leur temps. Il en est de même de la zakat si ce n’est qu’en tant que commandement à vocation sociale, la nécessité peut ici permettre des dérogations, comme le rappelle Al Qourtoubi. Nos oulamas ont de plus identifié la propension à l’empressement, comme l’un des éléments caractéristiques du manque de maturité de nombreux mouvements musulmans.

Ce premier verset nous invite donc à ne pas nous empresser. Fut-il poussé par son zèle, le musulman doit toujours commencer par interroger sa raison qui, elle seule, sera en mesure de se référer aux sources que sont le Coran et la Sounnah authentique, d’interroger les oulamas dépositaires du savoir révélé et garants de l’interprétation correcte des textes pourvu qu’ils soient pieux. Chaque action, chaque projet, doit être mûrement réfléchi : l’action est-elle recevable ? quelles sont les règles à respecter ? est-ce le bon moment ? le bon contexte ? etc… À l’instar de l’entrepreneur qui avant de lancer un produit ou une offre commence par lancer une étude de marché, le croyant qui veut entreprendre une œuvre doit analyser la situation, consulter les « sages », et s’en remettre à son Seigneur.

« (2) Ô croyants ! N’élevez pas vos voix au-dessus de la voix du Prophète, et ne haussez pas le ton devant lui, comme vous le faites entre vous, si vous ne voulez pas perdre à votre insu le mérite de vos œuvres ».

Le verset suivant nous défend d’élever la voix ou de nous montrer familier avec le Prophète (paix et salut sur lui). Ainsi en est-il du fait de l’interpeller par son prénom plutôt que par ses titres de prophète et de messager d’Allah. Ceci constitue un péché qui pourrait faire perdre à son auteur le mérite de ses bonnes œuvres. Al Qourtoubi reprend l’opinion du magistrat Abou Bakr Ibn Al Arabi selon qui ces commandements restent valables même après la mort du Prophète (paix et salut sur lui) : Il s’agira de bien se tenir et de faire preuve de révérence dans les assises où l’on rapporte les paroles de l’Envoyé d’Allah (paix et salut sur lui) en s’abstenant d’élever sa voix au-dessus de celle du lecteur, tout comme il nous est prescrit de faire avec le Coran : « lorsque l’on récite le Coran écoutez attentivement et taisez-vous afin d’obtenir la miséricorde » [7;204]. Al Souyouti précise qu’il s’agit là d’un commandement spécifique à la personne du Prophète (paix et salut sur lui) que l’on doit respecter encore aujourd’hui lorsque l’on se tient devant son tombeau. Mohammad Al Amine Al Chinqiti insiste sur le respect que doit nous inspirer l’Élu d’Allah en citant le verset : « Nous t’avons envoyé en tant que témoin, annonciateur de la bonne nouvelle et avertisseur, pour que vous croyiez en Allah et en Son messager, que vous l’honoriez, et le respectiez… » [48;9]. Cet exégète remarque aussi qu’à chaque fois qu’Allah interpelle son prophète, Il utilise des expressions élogieuses et ne l’interpelle pas par son prénom : « ô prophète… » [9;73], « ô messager… » [5;41]…

Ceci dit, de façon générale le croyant pieux doit s’abstenir de toute grossièreté et familiarité dans son comportement et ses paroles. Allah nous le dit à travers les propos de Loqman : « n’élève point trop la voix, car la plus détestée des voix est bien celle des ânes » [31;19], et le Prophète (paix et salut sur lui) de dire : « rien ne pèse plus lourd dans la balance des œuvres au jour du jugement qu’un bon comportement, et certes Allah a en horreur l’homme vulgaire et grossier » [Al Tirmidhi, Sahih].

« (6) Ô vous qui croyez ! Si un individu pervers vous apporte une nouvelle, vérifiez-en la teneur, de crainte de faire du tort à des innocents, par ignorance, et d’en éprouver ensuite des remords ».

Dans la suite de la sourate, Allah nous demande d’analyser les informations qui nous parviennent, surtout lorsqu’elles proviennent de personnes dont on sait qu’elles ne sont pas fiables. Ibn Tahir explique que le pervers désigne ici celui qui n’a pas honte devant Allah ou encore celui qui s’affiche dans le péché, selon Abou Al Hassan Al Waraq. Les exégètes rapportent que le Prophète (paix et salut sur lui) envoya un musulman en mission. À son retour, celui-ci mentit au Prophète (paix et salut sur lui) dans le compte-rendu qu’il lui fit. Plutôt que de s’empresser, le Prophète (paix et salut sur lui) sollicita Khalid Ibn Walid pour aller vérifier (tathabout) l’information rapportée. Khalid mena son enquête et découvrit qu’on avait menti au Prophète (paix et salut sur lui) à qui fut révélé ce passage et qui dit : « la pondération vient d’Allah et l’empressement vient du diable ».

Que nous apprend ce verset et cette explication ? Encore une fois, il s’agit d’apprendre à analyser les informations qui nous parviennent et à ne pas s’empresser à juger, condamner, ou réagir sur la base d’informations potentiellement fausses, partielles ou partisanes. Il faut prendre le temps d’analyser et de vérifier. D’ailleurs on peut aussi lire ce passage de la manière suivante, selon les lectures de Hamza, Al Kisaï et Khalaf : « Si un homme pervers vous apporte une nouvelle vérifiez… » (tathabatou). Allah dit dans un autre passage : « Quand leur parvient une nouvelle rassurante ou alarmante, ils la diffusent. S’ils la rapportaient au Messager et aux détenteurs du commandement parmi eux, ceux d’entre eux qui cherchent à être éclairés auraient appris (la vérité de la bouche du Prophète et des détenteurs du commandement). Et n’eussent été le grâce d’Allah sur vous et Sa miséricorde, vous auriez suivi le diable, à part quelques-uns » [4;83]. Dans la sourate Al Nour, Allah évoque l’épisode de la calomnie dont fut victime notre mère Aïcha – Qu’Allah lui accorde satisfaction – et qui lui valut d’être mise au ban de la communauté pendant de longues semaines. Cela sur la base d’un mensonge forgé par les hypocrites. Dans ce passage, Allah reproche aux croyants leur manque de clairvoyance et leur empressement à diffuser une information non établie par des témoignages irréfutables : « quand vous colportiez la nouvelle avec vos langues et disiez de vos bouches ce dont vous n’aviez aucun savoir ; et vous le comptiez comme insignifiant alors qu’auprès d’Allah cela est énorme » [24;15].

Malheureusement, nous voyons encore aujourd’hui comment les gens sont prompts à écouter les ragots et rumeurs, sans prendre le temps de vérifier, tournant le dos à tel, participant à calomnier tel autre. Allah a appelé cela « suivre les pas du diable » et a prévenu que cet empressement et ce manque de clairvoyance seront source de regrets, dans cette vie, lorsque la personne prendra conscience de son erreur, ou dans l’autre lorsqu’elle paiera de ses bonnes actions le prix de sa précipitation.

Plus grave encore aujourd’hui, à l’heure des services de messageries et des réseaux sociaux, est le fait de colporter et de transmettre des hadiths faibles et mensongers, des interprétations sans fondement du Coran qui est la parole d’Allah, des traductions frelatées. Un clic insignifiant à nos yeux et si énorme de conséquences le Jour du Jugement Dernier. « Et quel pire injuste que celui qui forge un mensonge contre Allah ? Ceux-là seront présentés à leur Seigneur, et les témoins (les anges) diront: “Voilà ceux qui ont menti contre leur Seigneur”. Que la malédiction d’Allah (frappe) les injustes » [11;18]. Et dans le hadith authentique : « Celui qui ment délibérément sur moi, dit le Prophète, a sa place réservée en Enfer » [Al Boukhari & Mouslim].

Conclusion : Malheureusement, nous nous sommes éloignés de ces commandements éthiques et moraux. Nous sommes souvent connus aujourd’hui pour nos caractères impulsifs, empressés, notre empressement à juger et condamner, à agir avant d’étudier. Certains l’ont bien compris et ont trouvé les moyens d’exploiter cette faiblesse. Faisons nôtres ces qualités de pondération, de clairvoyance, d’esprit d’analyse, scientifique, qui exigent des preuves tangibles et raisonnables avant de prendre quelque décision. Apprenons à encadrer ce côté de notre nature : « L’homme a été créé pressé. Je vous montrerai Mes signes [la réalisation de Mes menaces]. Ne Me hâtez donc pas » [21;37] ; et à patienter, y compris dans l’attente de la réalisation de la promesse Divine, comme Allah y exhorte son Prophète (paix et salut sur lui) : « [Prophète !] Sois patient, comme l’ont été avant toi les plus résolus parmi les prophètes ! Ne te montre pas trop pressé de voir fondre sur eux le châtiment ! Le jour où ils seront en face de ce qui leur est promis, il leur semblera n’être restés sur Terre qu’une heure de la journée. Les voilà donc suffisamment avertis. Mais qui périra, hormis les pervers ? [46;35] ».

À suivre incha Allah.


Rubrique: Exégèse du Coran