22:59 - Jeudi 28 mars, 2024

- 18. Ramaḍān 1445

Entre ‘salafisme’ et ‘soufisme’ : critiques du soufisme


Allah le Très Haut dit dans Son Livre : C’est ainsi que nous fîmes de vous une communauté du juste milieu afin que vous soyez modèles/témoins aux gens, tout comme le Prophète vous est modèle/témoin [2;143]. Nous avons décrit précédemment ce qu’était le mouvement salafi et quelques défauts que l’on retrouve chez certains groupes se réclamant de celui-ci. Il est un point que nous n’avions alors pas évoqué, puisqu’il nécessitait d’être traité en profondeur : il s’agit de la manière dont de nombreux oulamas et prédicateurs salafis rejettent catégoriquement ce que l’on appelle le tassawwouf ou soufisme.

Qu’est ce que le soufisme ? Nous avions déjà traité de l’histoire de cette branche de l’Islam dans l’un de nos précédents articles consultable en ligne [Le tasawwouf ou l’apparition d’un mouvement spirituel]. Pour résumer, nous pouvons dire, que dans l’histoire musulmane, le soufisme s’est affirmé comme la branche de l’Islam spécialisée dans la dimension intérieure de la Loi [al haqiqah], c’est-à-dire dans ce qui touche auxœuvres du cœur [amal al qalb], aux sentiments [chi’ar], à la morale [soulouk]  et au comportement [adab] ; tout comme le fiqh, ou droit musulman, s’intéresse aux œuvres apparentes [amal al jawarih] : la prière, la zakat, les transactions etc. Si l’on entend les choses ainsi, le soufisme ou tassawwouf fait parti intégrante de l’Islam, et celui qui ne se réfère pas à cette discipline et à la science qu’elle contient néglige une partie importante de l’Islam : Et par l’âme et Celui qui l’a harmonieusement façonnée ; et lui a alors inspiré son immoralité, de même que sa piété ! A réussi, certes celui qui la purifie. Et est perdu, certes, celui qui la corrompt [91;7-10].

Pourquoi beaucoup de oulamas du courant salafi rejettent catégoriquement le soufisme ? Letassawwouf comme l’ensemble des courants réformateurs de l’Islam a été infiltré, si l’on peut dire, par des exagérateurs [ghaaloun], des imposteurs [moubtiloun], et des ignorants [jahiloun], qui se sont réfugiés sous sa bannière, mais n’en ont ni respecté les règles ni appliqué les enseignements. C’est ainsi que répondait le Cheikh al Islam, Taqi al Din, lorsqu’on lui demanda ce qu’il pensait des soufis : ils sont comme tous les groupes musulmans, comme les théologiens et les juristes : il y a parmi eux celui qui se fait du tort à lui-même, d’autres qui s’en tiennent à ce qui est suffisant, et d’autres qui ont dépassé tout le monde par leurs bonnes œuvres, par la grâce Divine [35;32]. Donc, parmi les soufis qui se firent du tort à eux-mêmes, certains au nom d’intérioriser l’Islam et de se concentrer sur le fond, délaissèrent complètement la forme, comme celui à qui l’on demanda pourquoi il négligeait aux prières prescrites et qui répondit par le verset : et adore ton Seigneur jusqu’à ce que te vienne la certitude [15;99], prétendant qu’il avait atteint le degré de la certitude ! Or si cette personne avait étudié les règles d’interprétation du Coran et son exégèse, elle aurait su que ‘la certitude’ [yaqin] dans ce verset signifie ‘la mort’, et que ni le Prophète paix et salut sur lui, ni ses compagnons, n’ont jamais abandonné la prière, bien que leur foi atteignait le degré de la certitude. D’autres renoncèrent à s’appuyer sur les Textes pour leur pratique, ou mélangèrent les hadiths authentiques et les mensongers, ce qui les poussa à pratiquer de nombreuses innovations. Quelques-uns ont prétendu être une incarnation de Dieu - Que Dieu nous préserve -, comme al Hallaj ; d’autres, ont fait des tombes de leurs chouyoukh des oratoires et des centres de pèlerinage, et d’autres ont fait de la danse, de la musique et des substances enivrantes des moyens de se rapprocher de Dieu ! C’est au nom de ces excès et d’autres, conduisant parfois les gens aux portes du blasphème et de l’idolâtrie, que des courants salafis, notamment celui initié par Ibn Abd al Wahhaben sont venus à une position intransigeante et ferme vis-à-vis de tout ce qui touche de près ou de loin au soufisme. Or ceci est regrettable car il y a malgré tout dans le patrimoine islamique soufi et dans ses enseignements de grands trésors.

La position du juste milieu devrait donc être de butiner le bien que contient chacun de ces courants en laissant de côté les excès et les innovations, à l’image de l’abeille qui butine différentes variétés de fleurs, et ‘du ventre de laquelle, sort une liqueur, aux couleurs variées, dans laquelle il y a une guérison pour les gens’, pour reprendre la parabole de l’un de nos savants ! Voilà l’objectivité à laquelle nous appelle l’Islam : à juger les propos et les actes selon leur valeur et non selon la personne, l’institution ou le courant d’où ils émanent : Ô croyants ! Observez strictement la justice et soyez des témoins (véridiques) comme Dieu l’ordonne, fût-ce contre vous-mêmes, contre vos père et mère ou proches parents. Qu’il s’agisse d’un riche ou d’un pauvre, Dieu a priorité sur eux. Ne suivez donc pas les passions, afin de ne pas dévier de la justice [4;135]. Le musulman objectif raisonne et analyse les propos et les actes, et accepte le bien et la vérité d’où qu’ils émanent, et quand bien même elle proviendrait du diable lui-même, comme dans ce hadith où un démon de forme humaine a recommandé à Abou Hourayra de réciter le verset du Trône avant de dormir ; l’Envoyé d’Allah  paix et salut sur lui, a confirmé la parole du démon en disant : il a dit vrai, bien qu’il soit un menteur [Al Boukhari]. Voilà donc une Sounnah que nous devons absolument déterrer, en apprenant à être objectifs et justes avec les gens quels qu’ils soient, quelle que soit leur pensée ou leur religion ; au lieu de nous dénigrer les uns les autres au nom de divergences d’opinion dans des sujets qui n’ont pas une importance majeure !

Certains savants anciens et contemporains ont su incarner cet équilibre et ont su avoir cette objectivité vis-à-vis du courant soufi tout en se référant aux générations modèles [al salaf al salih], celles qui ont le mieux maîtriser cette science. C’est le cas entre autre du Cheikh al Islam, Ibn Tayymiya et de son élève, Ibn Al Qayyim al Jawziya, ou encore d’Ibn Al Jawzy. C’est à la position de ces savants que nous nous intéresserons, si Dieu le veut, le mois prochain.

Et Allah sait mieux !


Rubrique: Les justes de la communauté