14:18 - Jeudi 25 avril, 2024

- 16. Shawwāl 1445

« Ma communauté se divisera en 73 factions »


Allah le Très Majestueux dit : Ceux qui émiettent leur religion et se divisent en sectes, de ceux-là tu n’es responsable en rien : leur sort ne dépend que de Dieu. Puis Il les informera de ce qu’ils faisaient [6;159]. À travers ce verset éloquent, Dieu le Très Haut désavoue et affirme l’innocence du Prophète (paix et salut sur lui), vis-à-vis de ceux qui, avant et après lui, ont tenté et tenteront d’utiliser la religion comme un instrument de division entre les musulmans, et un moyen de fonder des groupes sectaires ; tandis que l’un des objectifs affirmé de la religion est bien d’unir les gens autour du Message Divin : Il vous a légiféré en matière de religion, ce qu’Il avait enjoint à Noé, ce que Nous t’avons révélé, ainsi que ce que Nous avons enjoint à Abraham, à Moïse et à Jésus : établissez la religion ; et n’en faites pas un sujet de division ! … [42;13].

Soixante-treize factions

Ceci étant dit, un hadith nous apprend que les anciennes communautés s’étaient divisées chacune dans le passé, en respectivement soixante-et-onze et soixante-douze factions ; puis le hadith continue en disant : Ma communauté quant à elle divergera et se décomposera en soixante-treize groupes. Abou Dawoud, Al Tirmidhi, Ahmad, Al Hakim, Ibn Majah rapportent cette parole du Prophète (paix et salut sur lui) selon différentes variantes. Ibn Taymiya, Ibn Rajab et Al Albani, parmi les contemporains, considèrent sa chaîne de transmetteurs [sanad] comme étant authentique [sahih]. Une version du hadith ajoute au sujet de ces soixante-treize groupes : tous iront en enfer sauf un.

L’authenticité du hadith

Tout d’abord, il faut savoir que même si de grands spécialistes s’accordent sur l’authenticité de cette parole ; tous ne sont pour autant pas unanimes sur le sujet. Remarquons simplement que les deux plus grands imams du hadith, Al Boukhari et Mouslim, ont fait le choix de ne pas faire figurer ce hadith, dont ils avaient pourtant connaissance, dans leurs recueils considérés comme les plus sûrs et les mieux préservés après le Coran. Ceci, car ce hadith ne répondait pas à leurs critères plus strictes et plus rigoureux d’authentification. En effet, toutes les versions rapportées de ce hadith mentionnent parmi les transmetteurs de cette narration Mohammad Ibn Amr Al Alqama. Ibn Hajar – qui estime que la chaîne de ce hadith est bonne [djayyid]- note malgré tout qu’Ibn Amr bien que sincère, avait des problèmes de mémorisation. L’Imam Mouslim ne rapportait les hadiths dans la chaîne desquels figurait Ibn Amr qu’en appuie et en confirmation d’un hadith plus sûr, jamais pour en tirer une règle fondamentale. Quant à l’ajout ‘tous iront en Enfer sauf un’, Ibn Al Wazir le commente en disant qu’il s’agit d’un ajout pervers sans fondements qui pourrait être l’œuvre des gens hostiles à l’Islam. C’est également l’avis d’Ibn Hazm, reprit par Al Shawkani.

Le sens du hadith

Outre la chaîne de transmission, les savants spécialistes, mouhadithoun, analysent également l’expression et le sens portés par le texte pour juger de son authenticité. Or à ce niveau aussi, ce hadith fait l’objet de débats et est remis en cause. En effet, la prééminence de la dernière communauté, celle de Mohammad (paix et salut sur lui), sur les communautés l’ayant précédée, est établie par un grand nombre de textes authentifiés dans les deux sahih, et au sens clair. Nous pourrions nous contenter de la parole d’Allah : Vous êtes la meilleure communauté qu’on ait fait surgir pour les hommes… [3;110]. Pourtant, si on se base sur une compréhension littérale de ce hadith, et si on considère l’émiettement de la communauté comme un mal, alors plus on se divise moins on est bon. Donc d’après la lettre de ce hadith, nous sommes la pire des communautés, car la plus divisée ! Mais ceci n’est pas vrai, et un texte équivoque, comme celui que nous évoquons aujourd’hui, ne peut à lui seul remettre en cause un principe fondamental établi par un grand nombre de textes sûrs. Les savants anciens qui considéraient comme authentique cette tradition, l’interprétaient en considérant que chez les anciennes communautés le groupe bien-guidé était minoritaire, tandis que dans notre communauté ce groupe est majoritaire : il s’agit des gens qui se réfèrent au Coran et à la Tradition prophétique. À ce groupe se rattachent les quatre grandes écoles, ainsi qu’un grand nombre de courants ou mouvements, anciens et contemporains, visant la revivification de la religion, et qui n’ont strictement rien à voir avec les factions mentionnées dans ce hadith. Ainsi ces courants de l’Islam ne peuvent être considérés comme sectes, même si parfois certains adeptes de ces courants exagèrent ou transgressent.

Utiliser ce hadith pour accentuer les divisions

Enfin, si on considère ce hadith comme juste, il n’en reste pas moins que l’éclatement de la communauté est la résultante de l’errance des musulmans et de leur non mise en pratique des préceptes divins. Cette division n’est pas voulue proprement par Dieu (irada al char’iya) qui nous a ordonné l’union et interdit la division (Et cramponnez-vous tous ensemble à la corde de Dieu et ne soyez pas divisés… 3;103), si celle-ci survient, cela se produit alors selon sa volonté prééternelle (irada al qadariya) du fait de la négligence des musulmans. Comment peut-on alors utiliser ce texte pour justifier et accentuer les divisions et le sectarisme ?! Comment peut-on utiliser ce hadith comme prétexte pour désigner les groupes supposés égarés, tandis que le Prophète (paix et salut sur lui) ne l’a pas fait, en dehors des khawarij, et que cela constitue une innovation (bid’a) comme l’a démontré l’Imam Al Chatibi !

Aborder l’Islam par ce hadith est une erreur

Aborder ou présenter l’Islam par ce hadith, et plus généralement par des textes équivoques, qui font l’objet de divergence, quant à leur sens ou à l’authenticité de leurs chaînes de garants. Dieu dit au sujet des textes équivoques : Les gens, donc, qui ont dans le cœur une inclinaison vers l’égarement, mettent l’accent sur l’équivoque, cherchant la dissension en essayant d’interpréter, alors que nul n’en connaît l’interprétation, à part Dieu [3;7]. Et le Prophète (paix et salut sur lui) de nous dire : lorsque vous voyez ceux qui polémiquent sur les textes équivoques, prenez garde, car ils sont ceux que Dieu a blâmés [Al Boukhari & Mouslim].


Rubrique: Bien comprendre l'Islam, Bien comprendre la Sounnah